Alors que le pays est dans l’attente d'une Constitution définitive, dont la promulgation est annoncée pour le 27 mai prochain, l’ancien roi Gyanendra Shah, 66 ans, déposé en 2008, ne fait pas mystère de son intention de reconquérir le pouvoir. Ces dernières semaines, il s’est tournée successivement vers les hindouistes, avant de s’adresser aux minorités religieuses et aux chrétiens.

Lassés des atermoiements d’une Assemblée qui repousse sans cesse la promulgation de la Constitution, inquiets du climat de guerre civile entretenu par les maoïstes, craignant l’éclatement du pays sous l’effet des revendications identitaires, les mécontents semblent de plus en plus nombreux à rallier la cause de l’ancien monarque qui était il y a peu pourtant l’une des personnalités les plus impopulaires du Népal.

La menace semble si sérieuse que le vice-président Paramananda Jha a averti les députés que s'ils n'y prenaient pas garde, un « nouvel ajournement de la Constitution risquait de conduire à la restauration de la monarchie ». Une inquiétude partagée par l’ensemble des membres du gouvernement, dont le Premier ministre, Baburam Bhattarai, qui a dénoncé le 12 avril dernier dans le Kathmandu Post la « conspiration contre l’Etat » menée par le roi déchu lequel multiplie les « apparitions publiques sur la scène politique et religieuse » à un moment où le pays est particulièrement fragilisé.

Après les groupes hindouistes qui sont nombreux à cultiver la nostalgie de la monarchie hindoue, Gyanendra Shah, s’est tourné tout récemment vers les minorités religieuses, dont l’importance au Népal est croissante. « La situation du pays a changé ; bien que 80 % de la population du Népal soit hindoue, nous ne pouvons ignorer les minorités qui se battent aujourd’hui pour défendre leurs droits et leur identité (...) », a déclaré ainsi l’ancien roi dans une interview accordée à l’agence AsiaNews, le 4 avril dernier. « Chaque attaque contre une religion, quelle qu’elle soit, est un acte criminel », a-t-il ajouté, faisant part de sa volonté de permettre « aux chrétiens [de retrouver] la paix et la liberté religieuse ».

Soulignant l’importance de la contribution de l’Eglise catholique dans le développement du Népal, en particulier dans le domaine éducatif et social, l’ex-monarque a rappelé qu’il avait été éduqué par les jésuites, comme tous les autres membres de la famille royale et la presque totalité de l'élite politique et dirigeante du Népal. Il concluait l’interview en adressant ses voeux à toute la communauté chrétienne à l’occasion des fêtes de Pâques.

Face à ce discours, l’attitude de l’Eglise reste aujourd’hui très circonspecte. Les chrétiens, comme toutes les minorités religieuses, n’ont pas oublié que dès son arrivée sur le trône, le dernier roi du Népal avait rétabli la monarchie absolue avant d’instaurer l’état d’urgence en 2005, suspendant tous les droits fondamentaux, dont les liberté d’expression et de culte. Les écoles catholiques dont Gyanendra fait aujourd’hui l’éloge, avaient été particulièrement persécutées.

Mais l’avenir des minorités religieuses reste tout aussi incertain du côté des artisans de la future Constitution du pays, laquelle doit impérativement être promulguée le 27 mai prochain sous peine de sanctions internationales. Depuis juin dernier en effet, des projets de lois anti-conversion sont toujours en débat à la Constituante, portés par des groupes de pression hindouistes fortement représentés au sein des principales institutions du pays. Malgré leur importante mobilisation pour dénoncer la violation de la liberté religieuse et de la laïcité de l’Etat proclamées en 2006, les minorités religieuses du Népal craignent que l’amendement ne soit voté dans la précipitation de l'achèvement de la Constitution.

C’est dans ce contexte troublé où le terrain religieux est devenu le lieu des débats politiques que l’ex-roi du Népal a préparé sa campagne. Depuis l’été 2011, Gyanendra Shah multiplie ses apparitions en public, reprenant ses anciennes fonctions religieuses de roi-dieu, incarnation de Vishnou, inaugurant des temples hindous ou assistant à des fêtes traditionnelles. En mars dernier, après un séjour en Inde de plusieurs semaines où il a rencontré des leaders de différents partis, l’ancien monarque s’est rendu dans les districts de l’est du Népal, une région où il compte de plus en plus de partisans. Sous les acclamations et les slogans l’appelant à « revenir et sauver le pays », l’ex- souverain a inauguré un édifice religieux à Jhumka dans le district de Sunsari, en présence de membres du Rastriya Prajantra Party-Nepal et d’autres partis royalistes.

Au début du mois d’avril, Gyanendra Shah a effectué également une visite très médiatisée dans la région occidentale du Népal, considérée comme étant la plus déshéritée du pays. Accompagné de centaines de partisans, il a visité des temples, assisté à des cérémonies religieuses, participé à des meetings hindouistes, et même déclaré sur la chaîne locale Avenues Television, qu’il était « prêt à endosser le rôle que le peuple voudrait lui assigner, quel qu’il soit ». Dans ces régions pauvres habitées par des populations majoritairement aborigènes et oubliées du pouvoir central, l’ex-monarque a trouvé un terrain favorable à ses promesses de restauration de l’ordre et de la stabilité.

Malgré l’extrême impopularité du dernier des Shah dont la plupart des Népalais sont toujours convaincus qu’il est l’instigateur du massacre de la famille royale en 2001 (2), la campagne de Gyanendra semble cependant avoir porté ses fruits. L’ancien souverain a su fédérer des communautés pourtant très opposées, s’appuyant sur le ressentiment des minorités ethniques et religieuses déçues par les maoïstes, mais surtout sur l’incompréhension totale du principe de laïcité instauré par la Constitution provisoire. Cette incompréhension particulièrement présente dans les régions sous-alphabétisées et pauvres du Teraï et du Far West népalais, est selon certains observateurs et médias locaux, l’une des principales causes du succès grandissant de l'idée selon laquelle le retour d’une monarchie hindoue sera seul capable de refaire l’unité du pays et d’empêcher l’implosion du pays miné par le fédéralisme et la guerre civile latente.

(1) Le 1er juin 2001, la famille royale des Shah était massacrée dans des circonstances mal élucidées, lors d’un banquet auquel Gynanendra, frère du roi, n’assistait pas. La version officielle fut que Dipendra, le prince héritier, dans un accès de folie meurtrière, avait assassiné sa famille avant de se suicider. Une version à laquelle la très grande majorité des Népalais ne croient pas, soupçonnant Gyanendra de n’avoir jamais cessé d’ourdir des complots pour retrouver le trône qu’il n’avait eu que quelques mois à l’âge de 3 ans, avant que son grand-père Tribhuvan ne reprenne le pouvoir confisqué par la puissante famille des Rana.

(Source: Eglises d'Asie, 17 avril2012)