Le 4 mai dernier, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, assurait à une revue franciscaine italienne que les perspectives entrevues par lui pour le dialogue entre Rome et Pékin étaient « prometteuses ». Le numéro 2 du Vatican tempérait toutefois tout excès d’optimisme en précisant que le dialogue avec la Chine était « un long chemin qui a connu des hauts et des bas, qui n’est pas encore conclu et qui s’achèvera quand Dieu le voudra ». Mais ses propos venaient confirmer, si besoin était, l’existence de pourparlers entre la Chine populaire et le Saint-Siège. Même si rien ne filtre du contenu de ces pourparlers, on peut imaginer qu’il y est question du mode de nomination des évêques de l’Eglise de Chine. Une interrogation surgit à ce stade : de quoi parle-t-on précisément ? Sait-on combien d’évêques catholiques sont actifs en Chine populaire ? Sait-on seulement combien il y a de sièges épiscopaux en Chine continentale ?

Pour toute Eglise « normale », la réponse à ces questions se trouverait dans l’Annuario Pontificio, l’Annuaire Pontifical publié chaque année par le bureau central de statistiques du Saint-Siège ; il contient de manière détaillée toutes les informations concernant l’administration de l’Eglise catholique. A la rubrique ‘Chine’, cet annuaire est cependant muet ou presque, un silence qui reflète la complexité de la situation de l’Eglise qui est en Chine.

99 évêques en exercice…

Fort heureusement, cependant, le diocèse de Hongkong entretient le Holy Spirit Study Center, un centre d’études sur l’Eglise qui est en Chine continentale, et celui-ci publie une excellente revue trimestrielle, Tripod. Dans sa dernière livraison, datée du printemps 2016, Tripod porte un article du chercheur Anthony Lam Sui-ki sur l’évolution du nombre des catholiques en Chine depuis 2000. Eglises d’Asie reviendra prochainement sur cet aspect statistique de la communauté catholique en Chine, pour s’intéresser dans l’immédiat au nombre des évêques que compte l’Eglise de Chine.

Selon Tripod, l’Eglise de Chine continentale compte 112 évêques (110 en réalité, car deux sont décédés depuis la mise sous presse de l’article d’Anthony Lam (1)). Parmi eux, 99 exercent effectivement leur ministère, et les treize autres non. « Ceux qui n’exercent pas leur ministère sont ceux qui sont à la retraite ou qui ont été contraints à se retirer », précise le chercheur. Qui sont-ils ?, serait-on tenté de demander.

Dans une Eglise « normale », conformément au droit canon, les évêques remettent au Saint-Père leur démission une fois atteint l’âge de 75 ans, à charge pour ce dernier d’accepter leur démission ou de les maintenir en poste. En Chine, il est d’usage que les évêques restent en poste jusqu’à leur mort, l’Eglise de Chine ne pouvant pas entretenir de relations publiques normales avec le Saint-Père ; Pékin considère en effet que l’Eglise catholique de Chine est une Eglise « chinoise » et « indépendante » de tout pouvoir étranger. Malgré tout, une fois parvenus à un très grand âgé – 90 ans et plus –, certains évêques sont diminués par la maladie et ne peuvent plus diriger leur diocèse. Anthony Lam en compte sans doute une dizaine parmi les treize mentionnés ci-dessus. Pour les autres, ceux qui « ont été contraints à se retirer », on peut penser que s’y trouvent l’évêque « clandestin » de Baoding, Mgr Su Zhimin, 84 ans, détenu au secret depuis dix-neuf ans, ainsi que l’évêque « clandestin » de Yixian, Mgr Shi Enxiang, 95 ans, dont l’annonce de la mort en détention a circulé début 2015 sans avoir jamais été confirmée depuis. Emprisonnés, ils sont tous deux empêchés de gouverner leurs diocèses respectifs. A ces deux noms, il faut aussi sans doute ajouter celui de l’évêque auxiliaire « officiel » de Shanghai, Mgr Ma Daqin, en résidence surveillée depuis juillet 2012 et empêché de gouverner son diocèse depuis qu’il a annoncé, à l’issue de son ordination épiscopale, son retrait de l’Association patriotique des catholiques chinois.

… pour combien de diocèses ?

Dans une Eglise « normale », on ne qualifie pas les évêques en fonction de leur appartenance à une communauté « clandestine » ou « officielle ». En Chine, c’est toutefois le cas, et Anthony Lam indique que les 99 évêques actifs se répartissent entre 70 évêques « officiels » et 29 évêques « clandestins ». Il précise aussi que, par rapport à 2014, le groupe des évêques « officiels » a gagné 11 membres et celui des « clandestins » en a perdu 13. Pourtant, selon les données accessibles, l’année 2015 n’a vu que deux évêques seulement prendre possession de leur siège épiscopal, tous deux au sein des « officiels » : il s’agissait de l’ordination de l’évêque coadjuteur d’Anyang, Mgr Zhang Yinlin, en août 2015, et de l’installation de l’évêque de Zhouzhi, Mgr Wu Qinjing, ordonné en 2005 mais installé seulement en juillet de l’année dernière.

Anthony Lam explique cette évolution statistique par le fait que, parmi les évêques nouvellement comptés au nombre des « officiels », figurent d’ex-« clandestins ». « Certains évêques estiment qu’ils ne sont plus ‘clandestins’ au sens de ‘souterrains’ ; nous les comptons par conséquent avec les ‘officiels’ », précise le chercheur, sans pour autant donner les noms des évêques concernés.

Ces chiffres relatifs aux évêques sont à comparer au nombre des diocèses en Chine. Là, encore la situation est complexe, mais un fait saillant demeure : un nombre important de sièges épiscopaux sont actuellement vacants. Selon le gouvernement, l’Eglise de Chine compte 97 diocèses. L’Eglise, elle, en dénombre 138. La différence s’explique par le fait que, depuis des années, les autorités civiles s’efforcent de faire correspondre les frontières des diocèses avec celles des circonscriptions administratives, en regroupant donc des diocèses pour qu’ils correspondent au territoire d’une province ou d’une partie d’une province. Pour le Saint-Siège, la carte des diocèses est en théorie celle qui était en vigueur le 11 juillet 1946, date de l’établissement de la hiérarchie de l’Eglise catholique en Chine.

Enfin, à l’urgence qui existe donc de nommer des évêques pour de nombreux diocèses actuellement vacants, s’ajoute la difficulté de compter, au sein du groupe des évêques « officiels », sept évêques illégitimes, car ordonnés sans avoir été nommés par le pape. Ceux-ci se trouvent de ce fait dans une situation d’excommunication latae sententiae (2).

Notes
(1) Les deux évêques décédés depuis le début de cette année 2016 sont :
- Mgr Thomas Zeng Jingmu, mort le 2 avril à l’âge de 95 ans. Il était l’évêque « clandestin » de Yujiang (province du Jiangxi). Fait peu courant, l’Osservatore Romano a salué sa mémoire, écrivant le 22 avril que Mgr Zeng avait « été un ardent défenseur de la doctrine catholique et avait offert un témoignage courageux de fidélité à l'Eglise, au prix d'un grand sacrifice : il avait été arrêté à de nombreuses reprises et passé trois décennies de sa vie en détention ».
- Mgr Thomas Zhang Huaixin, mort le 8 mai à l’âge de 90 ans. Comme beaucoup de prêtres de sa génération, Mgr Zhang a connu les camps de rééducation par le travail et la prison. Ordonné évêque dans la clandestinité en 1981, il avait patiemment relevé son diocèse, en faisant une communauté particulièrement dynamique et missionnaire. Ce n’est en 2004 qu’il avait accepté d’être installé comme évêque « officiel » de son diocèse, une fois assuré que son geste ne l’obligerait en aucune manière à être membre de l’Association patriotique des catholiques chinois.
(2) Code de Droit canonique, canon 1382 : « L’évêque qui, sans mandat pontifical, consacre quelqu’un évêque, et de même celui qui reçoit la consécration de cet évêque encourent l’excommunication ‘latae sententiae’ réservée au Siège Apostolique. » (latae sententiae signifie qu’il n’y a besoin d’aucune décision exprimée de l’autorité compétente, les contrevenants étant supposés savoir que leur comportement est délictueux).


(Source: Eglises d'Asie, le 11 mai 2016)