Après le vote par les députés philippins du rétablissement de la peine de mort le 7 mars dernier, le Sénat pourrait à son tour se prononcer sur le sujet. C’est dans ce contexte inquiétant que l’Eglise catholique des Philippines, avec qui le pouvoir entretient des relations tumultueuses, a lancé un nouvel appel contre la peine de mort, avant d’exprimer son soutien au lancement d’une procédure de destitution à l’encontre du président Rodrigo Duterte.

« Même avec la meilleure des intentions, jamais il n’a été prouvé que la peine de mort ait un effet dissuasif sur le crime », a dénoncé le président de la Conférence des évêques philippins, Mgr Socrates Villegas. Ces propos sont inscrits dans une Lettre pastorale qui a été lue dimanche 19 mars, troisième dimanche de Carême, dans toutes les églises du pays.

De l’usage de la Bible en politique

Au Sénat, Manny Pacquio, multiple champion du monde de boxe devenu homme politique, s’est fait le chantre de la peine de mort, en déclarant que « même Jésus-Christ avait été condamné à mort par le gouvernement ». D’après lui, « selon la Bible, Dieu autorise les gouvernements à faire usage de la peine capitale ». Converti au christianisme ‘born-again’, Manny Pacquiao avait suscité un tollé après avoir comparé en 2016 les homosexuels à des « animaux ».

« A ceux qui utilisent la Bible pour défendre la peine de mort, nous les invitons humblement à interpréter correctement les Saintes Ecritures », a répliqué par écrit Mgr Socrates Villegas, archevêque de Lingayen-Dagupan. Jamais aucune forme de « tuerie légale » n’a été cautionnée par Jésus, explique le président de l’épiscopat : « L’histoire nous enseigne comment la peine capitale a été si souvent utilisée par des gouvernements répressifs comme un moyen d’étouffer la dissidence ou d’éliminer toute menace au pouvoir politique. »

Mgr Socrates Villegas a appelé enfin les fidèles à prier constamment afin que « l’Esprit Saint illumine et guide les esprits et les consciences des législateurs » appelés à accomplir un choix qui aura des répercussions sur la vie de nombreuses personnes et sur l’avenir du pays. Pour être adoptée au Sénat, la proposition de loi requiert au moins 13 votes (sur les 24 sièges que compte la Chambre haute du Congrès philippin).

« Ce que nous demandons à nos hommes politiques est la cohérence de voter sur la peine de mort selon leur conscience. Nous demandons à ce qu’ils n’utilisent pas la foi par convenance politique », a ajouté P. Melvin Castro, à la tête de la Commission épiscopale chargée de la famille. « Nombre d’hommes politiques s’engagent pour dire oui à la vie puis votent en faveur de la peine de mort », a déclaré le prêtre à l’agence Fides.

La procédure en destitution, une « bonne tentative » qui a peu de chances d’aboutir

Quelques jours après le vote du retour de la peine capitale par les députés, un député de l’opposition a déposé le 16 mars une demande de destitution visant le président de l’archipel. Dans sa plainte – la première de ce genre depuis l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte il y a huit mois –, Gary Alejano s’appuie sur les allégations relatives à l’existence d’« escadrons de la mort » durant les vingt-deux années que Duterte a passées à la tête de la mairie de Davao, dans le sud de l’archipel. Gary Alejano accuse le président de « crimes contre l’humanité » pour avoir « adopté une politique d’Etat poussant des policiers, des autorités et des membres de « milices » à accomplir des tueries extrajudiciaires de plus de 8 000 personnes simplement parce qu’elles étaient soupçonnées de consommer ou de vendre de la drogue ».

Au moins deux évêques catholiques ont publiquement exprimé leur soutien à cette procédure de destitution présidentielle : l’évêque de Sorsogon, Mgr Arturo Bastes, et celui de Marbel (sud des Philippines), Mgr Dinualdo Gutierrez. « C’est un développement bienvenu car c’est une façon d’alerter sur la gravité des violations des droits de l’homme dans notre pays », a déclaré Mgr Arturo Bastes. Le prélat a rappelé que les tueries extrajudiciaires de ces huit derniers mois sont devenues « tristement célèbres à travers le monde ».

Pour que le président soit destitué, il faut obtenir la majorité des deux tiers au Sénat. C’est une « bonne tentative », mais la procédure a peu de chances d’aboutir dans un Congrès où les alliés de Rodrigo Duterte sont majoritaires, estime de son côté Mgr Dinualdo Gutierrez. Pour Mgr Arturo Bastes, il s’agit d’abord d’une « action politique » mais certains parlementaires sont « très préoccupés par le comportement extravagant et l’acharnement de notre président ». « Il croit que tuer ses concitoyens est le seul moyen de maintenir l’ordre dans notre nation », poursuit Mgr Arturo Bastes.

Dernièrement, le Parlement européen, à son tour, a dénoncé la campagne antidrogue gouvernementale meurtrière, suscitant l’ire de Rodrigo Duterte. (eda/md)

(Source: Eglises d'Asie, le 27 mars 2017)